« La plus grande victoire est la victoire sur soi. » Platon
Ce chapitre est certainement le plus important de ce site car il dévoile un sujet méconnu de tous les patients : le risque de récidive du cancer lié à la technique chirurgicale. Les informations scientifiques qui y sont développées sont totalement validées. Elles sont nécessairement un peu techniques mais accessibles à tous. Il est indispensable de prendre connaissance de cette page pour comprendre l’impact des différents modes d’intervention.
Rappelons que l’objectif de la prostatectomie totale est de guérir du cancer sans séquelle urinaire ou sexuelle. Prendre le risque d’une dissection opératoire dangereuse qui hypothéquerait la guérison pour permettre une récupération satisfaisante de la continence urinaire et des rapports sexuels est un non-sens ! Et pourtant, pour gagner en résultats fonctionnels, certaines techniques passent trop près du cancer : on récupère une sexualité satisfaisante mais le cancer récidive quelques années plus tard ! Ce non-sens représente la face cachée des résultats. Le profane imagine naturellement que toutes les techniques procurent les mêmes chances de guérison. Il n’en est rien : chaque technique a son propre potentiel de guérison, évalué par le taux de marges chirurgicales positives.Ce chiffre est un véritable verdict de la qualité de l’opération et les succès sur la continence et la sexualité ne prennent de l’intérêt qu’en fonction de ce taux. C’est ce que nous allons expliquer pas à pas ci-dessous.
Après l’opération, la prostate qui a été retirée s’appelle alors la pièce opératoire. Elle est totalement colorée avec de l'encre de chine, puis envoyée au laboratoire d’histopathologie. Lors de l’examen au microscope, cette encre formera une ligne noire sur toute la périphérie de la prostate. En terme technique, cette zone périphérique noire de la pièce opératoire s'appelle la marge chirurgicale.Le cancer ne doit jamais être au contact de l’encre de chine, c'est-à-dire de la zone périphérique de la prostate. Une marge chirurgicale positive se définit ainsi par la présence du cancer en bordure de la pièce opératoire et sa longueur en millimètres est notée.Elle est analysée par l’histopathologiste et notée sur le compte-rendu histologique avec la lettre R (comme résiduel), ex R - : pas de marge ; R+ 1mm : marge positive de 1 mm.
- Il n’existe pas de glandes tumorales au contact de l’encre de chine : on ne retrouve que du tissu sain tout autour de la pièce opératoire. Le chirurgien est bien passé à distance du cancer dans un stade localisé pT2 ou localement avancé pT3.
- Des glandes tumorales sont au contact de l’encre : le chirurgien est passé dans le cancer.
soit dans un stade localisé ou pT2 : en voulant passer trop près de la prostate pour conserver les nerfs de l’érection ou préserver au mieux le sphincter, le chirurgien a incisé des glandes prostatiques sans s’en rendre compte. Par malchance, cette erreur technique s’est produite sur une zone où les glandes sont cancéreuses.
Une marge chirurgicale d’un stade localisé pT2 doit rester totalement accidentelle et donc exceptionnelle.
soit dans un stade localement avancé ou pT3 : le chirurgien a bien respecté les limites de la prostate mais c’est le cancer qui les a dépassées. Ce dépassement est presque toujours microscopique et totalement invisible au moment de l’opération.
Dans les deux cas, il peut persister des cellules tumorales et donc un risque de récidive de la maladie quelques années plus tard. La longueur de la marge chirurgicale a aussi une importance : plus elle est petite, moins il y a de risque de récidive. En pratique, la longueur la moins grave est ≤ 1 mm, c’est une marge dite ponctuelle, entre 1 et 3 mm la gravité augmente et quand la marge est > 3 mm, le risque de récidive devient majeur.
C’est le pourcentage de patients ayant une MCP sur une série de patients opérés. Ce taux se décline en :
Le taux de MCP global donne une bonne idée de la qualité de la technique mais le plus important est le taux de MCP des stades pT2. En théorie, il devrait être nul puisqu’à ce stade le cancer n’a pas dépassé les limites de la capsule, il ne peut donc jamais apparaître en périphérie. Sa présence témoigne d’une incision accidentelle faite par le chirurgien...
Nous allons voir page suivante que les conséquences peuvent en être la récidive du cancer: plus ce taux est élevé, plus les erreurs de dissection sont nombreuses, et plus la technique est dangereuse en raison du risque de récidive cancéreuse qu’elle entraine.
Nous venons d’évoquer le risque de récidive du cancer en présence d’une marge chirurgicale positive. Nous allons observer maintenant les conséquences directes de ces marges chirurgicales positives sur les courbes de survie sans récidive biologique du cancer. Elles montrent que la moindre petite erreur technique peut avoir des conséquences majeures sur la récidive du cancer. Les courbes et graphiques ci-dessous sont tirés du British Journal of Urology International BJUI 2014.
Graphique A : Courbes de survie sans récidive biologique du cancer en fonction des stades de la maladie et de la présence ou non d’une marge chirurgicale positive.
Stade sans dépassement capsulaire : pT2,
Stade avec dépassement capsulaire : pT3 et pT4,
PSM- : marge chirurgicale négative,
PSM+ marge chirurgicale positive.
Ordonnée : pourcentage de patients sans récidive biologique.
Abscisse : délai en mois après l'opération.
Exemple :
Courbe noire : stade pT2 marge négative (pT2 PSM-);
Courbe rouge : stade pT2 marge positive(pT2 PSM+).
Attention : au-delà de 80 mois, les courbes vont descendre systématiquement en raison du modèle statistique et non de la récidive biologique.
Graphique B : Courbes de survie sans récidive biologique du cancer en fonction de la longueur (en millimètres) de la marge chirurgicale positive.
Ordonnée : pourcentage de patients sans récidive biologique.
Abscisse : délai en mois après l'opération.
Exemple :
Courbe noire : marge négative.
Courbe rouge : marge positive ≤ 1mm.
Courbe verte : marge positive > 1mm.
Attention : au-delà de 80 mois, les courbes vont descendre systématiquement en raison du modèle statistique et non de la récidive biologique.
Tableau C : Pourcentages de patients sans récidive biologique du cancer à 3 et 5 ans, en fonction du stade de la maladie et de la présence ou non d’une marge chirurgicale positive.
PSM- : marge chirurgicale négative
PSM+ : marge chirurgicale positive
Stade de la maladie | 3 ans | 5 ans | |
pT2 | PSM+ | 100% | 85.7% |
pT2 | PSM- | 97.4% | 95.7% |
pT3a | PSM+ | 73.0% | 42.2% |
pT3a | PSM- | 76.1% | 66.9% |
pT3b et pT4 | PSM+ | 19.2% | 9.6% |
pT3b et pT4 | PSM- | 47.3% | 31.0% |
Tableau D : Pourcentages de patients sans récidive biologique du cancer à 3 et 5 ans, en fonction de la longueur en millimètres (mm) de la marge chirurgicale positive.
PSM- : marge chirurgicale négative
PSM+ : marge chirurgicale positive
Longueur | 3 ans | 5 ans | |
0 mm | PSM- | 91.8% | 88.1% |
≤1 mm | PSM+ | 75.2% | 48.8% |
>1 mm | PSM+ | 47.7% | 42.4% |
Ces chiffres sont d’une importance capitale. Ils montrent que la moindre petite erreur technique peut avoir des conséquences majeures sur la récidive du cancer. Dans tous les cas, c’est un constat à posteriori où l’erreur technique éventuelle n’est hélas plus réparable.
Cela souligne encore l’absolue priorité du chirurgien de mettre au point une technique qui soit la plus précise et la plus sûre.
Pour chaque technique chirurgicale, le risque de récidive du cancer sera en grande partie dépendant de son taux de marge chirurgicale positive (MCP).
Nous avons pris pour référence une méta-analyse publiée en 2012 comparant les taux de marges chirurgicales positives des 3 voies d’abord chirurgicales : incisionnelle, cœlioscopique et robotique. Cette étude est une sorte de compilation intégrant 400 articles publiés dans toute la littérature mondiale depuis 1990. Les résultats sont intégrés dans des modèles statistiques ressortant les moyennes pour chaque technique avec les écarts entre ces moyennes. La voie incisionnelle publiée par l’auteur de ce site dans le BJUI 2014 n’a donc pas été intégrée dans cette méta-analyse, ses résultats ont été ajoutés sur le tableau A.
Auteur du Site | Robotique | Coelioscopique | Incisionnelle | |
MCP Totales (%) | 8.7% | 16.2% ± 5.6 | 20.4% ± 5.0 | 24.2% ± 9.8 |
MCP pT2 (%) | 2.3% | 10.7% ± 4.7 | 13.0% ± 4.4 | 16.6% ± 8.8 |
MCP pT3 (%) | 23.7% | 37.2% ± 10.2 | 39.7% ± 8.8 | 42.6% ± 14.4 |
Dans le tableau ci-dessus, les valeurs indiquées intègrent deux chiffres dans les compilations des séries internationales : la moyenne et les écarts (±) maximums au-dessus et au-dessous de cette moyenne. Attention il ne faut pas interpréter ces chiffres au premier coup d’œil. Les séries incisionnelles ont pour certaines plus de 20 ans, et de nombreux paramètres doivent être calculés pour pouvoir les comparer. En intégrant tous ces paramètres, cette étude n’avait pas montré de différence significative entre le robot et les séries incisionnelles.
Prenons deux sportifs courant le 100 m. L’un d’eux a des chaussures de randonneur et un sac de 30 kg sur le dos. Si vous ignorez le handicap de l’un en ne regardant que l’affichage du chronomètre, vous serez dans l’erreur. En intégrant le handicap, l’écart des temps affichés peut disparaître complètement.
C’est exactement le cas pour cette étude. Les cancers des séries incisionnelles étaient, à l’époque, diagnostiqués beaucoup plus tardivement. À stade identique, le volume tumoral était beaucoup plus important que maintenant, majorant le risque de marges chirurgicales positives. Finalement, la seule différence significative retenue dans cette étude est l’écart entre les marges pT2 du robot et celles de la cœlioscopie (séries vraiment contemporaines avec des dossiers de patients comparables).
Il faut retenir de ce tableau que la robotique, 12 15 ans après son avènement, reste au même niveau de résultats que les anciennes voies incisionnelles historiques et dépassées aujourd’hui.
Pour avoir des données comparatives solides, nous avons retenu la série du CHU Henri Mondor de Créteil publiée dans European Urology (Eur Urol). Elle est exactement contemporaine de l’étude du BJUI 2014 et l’expérience robotique de cette équipe est l'une des plus importantes en France. Dans les deux cas, il y a plus de mille patients, ce qui permet d’éliminer tous les biais d’échantillonnage trop faible et d’expérience chirurgicale insuffisante. Les stades pT2c étaient dans des proportions identiques dans les deux séries, les volumes des cancers étaient donc comparables.
Auteur du Site BJUI 2014 | Robotique Eur Urol 2014 | |
Nombre de patients | 1065 | 1009 |
MCP Totales (%) | 8.7% | 31.3% |
MCP pT2 (%) | 2.3% | 19.6% |
MCP pT3 (%) | 23.7% | 47.4% |
Longueur médiane des MCP (mm) | 1mm | 4mm * |
Patients sans récidive du cancer 3 ans après l’opération pour les stades pT2 | 97.4% | 91.1% ** |
* Chiffre publié dans le WJU
** Chiffres communiqués au congrès AFU 2011
On relève dans la série robotique des taux de marges chirurgicales positives pT2 8,5 fois plus élevés, avec une longueur moyenne de ces marges qui passe de 1 mm à 4 mm et surtout une récidive du cancer, 3 ans après l’opération, qui survient non plus chez 2.6% des patients mais 8.9%. Cette différence est bien expliquée par la technique chirurgicale et non par une sélection de patients : les stades pT2c étaient identiques dans les deux séries (on trouve ici la réponse à la question du Canard Enchaîné, voir la revue de presse…) ****
Dernier point important : plus un chirurgien a un taux de marges positives élevé et moins il se risquera à faire une préservation des lames nerveuses sur les dossiers difficiles (par exemple, lorsque le cancer est au contact de la capsule prostatique sur l’I.R.M.). Ainsi, bénéficier d’une préservation des nerfs érecteurs ne dépend donc pas uniquement du volume et de la situation du cancer mais aussi et surtout de la technique du chirurgien.